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L’homme soulagé et le jeune homme inquiet

Deux joueurs belges, extraordinairement gentils, se sont affrontés hier soir.

Attention, quand j’écris gentils, certains vont sans doute sourire et penser que ce mot est utilisé comme parfois dans une définition un rien négative.

Ici, pas du tout.

David Goffin est un homme gentil, un joueur gentil, un professionnel gentil. Gentil dans le sens premier du terme: Aimable, plein de bons sentiments à l’égard d’autrui.

Un exemple, récent, lors sa conférence de presse pré-tournoi, il a terminé quand deux journalistes, retardataires, demandent s’il y a moyen de recommencer. Peu de joueurs du niveau de David auraient accepté. David, lui, l’a fait, avec le sourire.

Zizou Bergs est, lui aussi, un jeune homme gentil. Un exemple récent, très récent: il perd le duel d’hier face à David. Il quitte le terrain tête basse et a juste envie d’être seul. On lui demande s’il vient à la conférence de presse. Pas de réponse mais 20 minutes plus tard, il est là. Triste comme un jour sans pain, mais pro jusqu’au bout des ongles.

Je lui fais remarquer que c’est très bien d’être venu, il me répond: « c’est normal« .

Oui, certes, mais n’empêche, nombreux sont ceux qui, en Challenger et dans ces conditions, n’auraient pas respecté cette « normalité ».

Quel terrible match que ce duel belgo-belge.

Ils nous ont tout fait, Zizou et David. Tout.

Ils se sont tout infligé. Tout.

le premier set aura été d’un niveau exceptionnel pour un Challenger avec deux gros serveurs (oui oui) et pas de balles de break.

David semble être un peu au-dessus et, en réalité, il l’est. Zizou tient par la force et par sa première balle.

David mène 5-3 service à suivre dans le tie-break. Il perd les quatre points suivants.

2-0 Zizou, 3-1 Zizou. Qui doit maintenir la tête de David sous l’eau. Il ne le fait pas, pose des mauvais choix (comme ces 6 amorties loupées complètement-) et remet David dans le match.

Ce dernier, plutôt calme malgré quelques mauvaises interprétations arbitrales et le contexte, retrouve un niveau impressionnant en fin de deuxième set. Qu’il gagne.

On pense que le troisième lui est acquis. Zizou casse le rythme et, assez curieusement, mène 2-0.

Mais, à nouveau, David fait parler son expérience et Zizou sa fougue qui, pour attachante qu’elle soit, lui joue de très mauvais tours.

Il appelle le kiné. Il a de nouveau des crampes. Comme à Melbourne. Comme…. depuis 9 ans.

David reste calme, encore et toujours, mais on sent qu’il bout en lui. Qu’il la veut, cette victoire.

Et il l’obtient.

Il aurait pu perdre, mais il a gagné.

Il est extraordinairement souriant à la fin du match (tout étant relatif évidemment, je parle ici de David Goffin :-).

Zizou Bergs aurait pu (dû?) gagner. Mais il a perdu.

Claudiquant, il va serrer la main du boss du tennis belge.

Il est triste, Zizou, car il est inquiet.

Il est triste, Zizou, car ce type de match, il en a déjà vécu de très nombreux.

Il est soulagé, David, car ce match, quoi qu’il en dise, il ne voulait pas, ne pouvait pas, le perdre.

C’est dire que c’est un Goffin inattendu et formidablement serein, qui est venu en salle de presse. Lâchant quelques blagues, décochant quelques clins d’yeux et sourires.

Il sait, David, qu’il a sans doute fait le plus dur de la semaine. Il sait que ce match va lui donner confiance pour les jours qui viennent. Il sait qu’il peut encore gagner des matches serrés.

Il sait, qu’il est encore le meilleur joueur belge.

Zizou, disais-je, est triste et inquiet.

« J’étais certain à 100% qu’il ne pouvait rien m’arriver au niveau physique. J’étais convaincu que j’étais prêt pour un combat de trois heures. Mais voilà, depuis neuf ans, les crampes me handicapent.« 

Il y a de quoi, en effet, être inquiet.

Pour Zizou, bien entendu, qui a tout de même 24 ans et qui ne parvient pas – malgré son niveau de jeu – à entrer dans ce fameux Top 100. Pour Zizou, encore, qui risque à un moment de se dire « à quoi bon m’entraîner puisque mon corps ne tiendra pas?« 

Pour l’équipe belge de Coupe Davis, aussi, même si c’est moins grave, car Zizou n’est pas au top physiquement, moralement. Pas plus que Joris De Loore…

Hier soir, je le répète, pourrait avoir été un match référence pour les mois et les quelques années qui viennent. David Goffin avait beaucoup plus à perdre qu’à gagner et bien plus à perdre aussi que Zizou.

Il a réussi, dans une ambiance tout à fait cordiale (tant au niveau du public que des joueurs), à maîtriser une rencontre que beaucoup auraient abordée avec bien plus de stress.

David, en battant son jeune compatriote au lendemain de l’annonce de sa décision de ne pas aller en Coupe Davis, a montré que, si, oui, bien sûr, il est moins fort qu’il y a 5 ans, il demeure, sans discussion possible, le leader du tennis belge.

Son passé (7e mondial, ses titres, sa finale en Masters, ses deux finales en Coupe Davis), son présent (seul qualifié à Melbourne, victoire hier face au deuxième Belge), le démontrent avec force.

Et son futur pourrait encore enfoncer le clou car, hier, une fois de plus, il a eu un déclic.

Le futur de Zizou passera quant à lui par des soins médicaux mais, aussi ( et surtout) par une meilleure gestion de sa faconde sur un terrain. Je laisse d’ailleurs David l’expliquer:

« Son jeu est trop énergivore. Il doit apprendre à mieux gérer ses matches. »

j’ajoute, comme je l’ai écrit ici plusieurs fois, que Zizou doit en garder sur la pédale, ne pas fêter chaque gros point comme s’il avait gagné un tournoi. Il doit se préserver de lui-même, de ses émotions.

Il peut le faire.

Il va le faire.

Il mérite d’y arriver.

Car, oui, comme David, Zizou est gentil.

Formidablement gentil.

Et talentueux.

Formidablement talentueux.

Merci, messieurs, pour cela.