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Lettre ouverte aux jeunes du BJC et à certains de leurs parents

Chers jeunes joueurs du BJC de Chapelle,
Chers parents des joueurs du BJC de Chapelle,

Si je prends aujourd’hui la plume – ou plutôt le clavier – ce n’est ni pour parler d’un match légendaire, ni d’un jeune prodige repéré par un entraîneur, ni même d’un exploit discret sur un court secondaire du Royal Chapelle Tennis Club.

Non. Si j’écris, c’est parce que, cette semaine, j’ai vu beaucoup de jeunes qui ne semblaient pas heureux d’être là. Qui ne souriaient pas. Qui donnaient l’impression de ne pas avoir le droit à l’erreur. Très sincèrement – et je traîne mes baskets sur les courts depuis plus de 50 ans (eh oui, déjà !) – cela m’a remué.

Ce tournoi, comme toutes les étapes du Belgian Junior Circuit, est un moment important. Il réunit les meilleurs jeunes talents du pays entre 9 et 13 ans. Y être est déjà une belle reconnaissance. Y performer, un bonus. Je suis bien conscient que l’enjeu peut sembler – et est souvent – important. Et que cela peut générer du stress. C’est normal.

Mais tout de même… Un tournoi, qu’il soit BJC ou non, devrait – doit – rester une fête. Un moment de jeu, de progression, de découverte. Pas un moment d’angoisse.

Ce que j’ai trop vu, ce sont des visages fermés avant de monter sur le terrain. Des regards plus souvent tournés vers les spectateurs que vers la balle. Et, après le match, j’ai aussi trop souvent vu des enfants sortir la tête basse, sans un mot, comme s’ils venaient de rater une partie de leur vie, comme si leur potentielle carrière venait de se briser.

À 10 ans…

Et puis, j’ai vu certains parents. Certains, hein, pas tous, loin de là…

Je sais que vous voulez bien faire. Que vous êtes fiers. Que vous avez pris un jour de congé, parfois roulé deux heures pour être là, organisé votre week-end autour des matchs de votre fils ou de votre fille. Je sais que vous rêvez, parfois, d’un avenir sportif pour eux. Et tout cela, c’est beau. Sans vous, il n’y aurait pas de joueurs, pas d’espoirs, pas de champions et jamais on ne vous remerciera assez pour tout ce que vous faites. Mais…

Mais permettez-moi, avec un peu d’expérience et beaucoup d’empathie, de vous glisser ceci :
Il y a des silences qui pèsent autant qu’un cri. Il y a des regards qui coupent les jambes. Et il y a cette pression – souvent involontaire – que certains jeunes ressentent si fort qu’ils en oublient ce pourquoi ils sont venus : le plaisir de jouer.

Quand j’étais jeune – pas espoir, mais pas manchot non plus 😉 – j’interdisais à ma maman de venir me voir jouer. Elle m’aimait plus que tout, ne disait rien… mais un soupir à peine audible me retournait l’estomac. Et pourtant, je ne visais pas Roland-Garros, hein (avec un revers poussif et slicé, c’est compliqué ;-)

Imaginez donc ce que peuvent ressentir vos enfants – parmi les meilleurs de leur génération – quand vous levez les yeux au ciel, changez de côté tous les deux jeux, ou soufflez sans même vous en rendre compte.

Je sais que la présence des coaches fédéraux peut parfois vous impressionner, voire vous stresser. Mais sachez qu’ils sont tous des vrais pros et qu’ils ne vont pas estimer la valeur de votre fils ou votre fille sur un seul match, une seule défaite. Ils sont là pour observer le comportement sur et en dehors du terrain, pour en tirer des leçons qui serviront ensuite aux joueurs. Ils ne sont pas là pour décréter, après une seule défaite, que le gamin ou la gamine n’ira pas plus loin. Imaginez ce que devrait dire le coach d’Anisimova après sa cruelle défaite d’hier à Wimbledon…. Ils savent, le coaches, et vous devez vous en convaincre, que la défaite, les défaites, font partie de la vie d’un tennisman, d’une tenniswoman.

J’en reviens à l’essentiel : le plaisir de jouer.

On joue au tennis. Il faut jouer au tennis. Il faut prendre plaisir à jouer. Bien sûr, on veut tous gagner. Mais même à haut niveau, le tennis reste un jeu. Il faut s’autoriser à rater. À tester. À sourire. Si vous ne me croyez pas, regardez à nouveau le match Alcaraz–Shelton à Roland-Garros. Un match intense, engagé… mais dans lequel les deux ont joué. Vraiment joué.

Je ne vous dis pas de ne rien dire – de quel droit le ferais-je, d’ailleurs ? – ni de ne pas encourager, conseiller, débriefer. Mais parfois, un simple :

« Tu t’es bien battu »
ou
« Tu t’es bien amusé ? »

…fera passer le perdant de tristesse à une vraie émotion positive.

Certains d’entre vous, iront loin, très loin. D’autres pas. Pour un David Goffin ou une Justine Henin, j’ai vu des milliers de très bons joueurs et joueuses qui ont aujourd’hui une belle vie… en dehors du tennis. Et, franchement, rien ne dit qu’ils soient plus ou moins heureux pour autant.

Vous tous, vous devriez pouvoir vous souvenir de ces années comme d’une période heureuse et riche : en matchs, en rencontres, en émotions, en échanges (pas que de balles 😉), en amitiés.

Alors à vous tous – jeunes joueurs – que j’ai croisés cette semaine, je veux simplement dire ceci :

Recommencez ou continuez à JOUER au tennis.

À très bientôt au bord des courts.
Promis, je continuerai à vous regarder… Et pas seulement le tableau des scores.
Et si, comme hier, certains veulent taper la balle de pickleball avec moi, vous êtes les bienvenus 😊