A l’occasion du Belgian Open et de l’entrée en piste de Joachim Gérard qui dispute à Enghien son dernier tournoi international en Belgique, je vous propose ce texte que j’ai écrit au lendemain de la médaille de bronze de Joachim aux Jeux de Rio.
Rio. Vendredi 16 septembre. Il ne fait pas très beau.
Sur le terrain, à un changement de côté, un homme. Il ferme les yeux. Sa tête dodeline. Il pratique une sorte d’hypnose intérieure qui le fait « voir » ce qui va se passer.
Cet exercice mental est surtout là, en fait, pour ne penser à rien d’autres qu’à son tennis.
Il est à deux ou trois jeux de la médaille olympique, son graal de toujours, son rêve si proche.
Il ne faut pas penser.
Surtout pas.
Dans les tribunes, un autre homme.
Pas d’exercice mental pour celui-ci. Non, Marc Grandjean prend des notes, des notes et encore des notes. Il n’en n’a pas besoin. Mais il doit le faire pour ne penser à rien d’autres qu’à la routine.
Cette fameuse routine qui vous permet, comme coach, de mener votre joueur vers son graal.
Un peu plus tard. La tête a cessé de dodeliner.
Joachim Gérard est sur le court. Deux jeux Jo. Jo comme J.O.
Deux jeux, c’est peu.
Mais c’est tellement.
Il ne pense pas Jo. Sauf à son tennis.
Il ne pense pas aux efforts consentis.
Il ne pense pas aux heures de travail dans ce fauteuil qui doit parfois peser si lourd.
Il ne pense pas aux JO de Pékin, ni, surtout, à ceux de Londres, dont il aurait aimé revenir avec, déjà, une médaille.
Il ne pense pas à cette maladie qui l’a surpris quand il avait neuf mois.
Il ne pense pas qu’il a souffert, qu’il a travaillé comme un forcené.
Qu’il a dû se battre pour que son entraîneur puisse le suivre un peu plus.
Il ne pense pas, qu’à force de conviction, on l’a enfin reconnu, comme ses amis athlètes paralympiques, comme étant des sportifs professionnels de haut niveau.
Il ne pense pas…..
Enfin, si, c’est dans un coin de sa tête. Mais, surtout, surtout, ne pas laisser venir l’émotion.
Pas trop tôt, pas maintenant. La balle de match, c’est dans quelques minutes, dans quelques secondes.
Peut-être.
Car si la tête lâche, le bras lâchera aussi.
C’est 5-1 pour Joachim Gérard. Puis 5-2.
On change de côté.
Les yeux se ferment, encore. Une dernière fois.
Dodeline la tête. Ne pas penser.
Rio.
Le dernier jeu des Jeux.
Le dernier jeu de JO.
La dernière balle.
La dernière balle des JO pour JO.
Il la gagne.
Non, s’il vous plaît, ne lisez pas cette dernière ligne aussi vite, comme s’il s’agissait d’une formalité.
Il la gagne.
Vous savez ce que cela veut dire: il la gagne?
Cela veut dire que le graal est atteint. Que le rêve est réalité.
Le temps s’arrête.
Les larmes coulent.
Deux hommes.
Dans les bras l’un de l’autre.
Joachim et Marc.
Dieu sait pourtant que cet Ardennais qui peut être bourru n’aime pas montrer ses sentiments. Mais c’en est trop.
Ils pleurent, les deux.
Marc et Joachim.
Des minutes durant.
Pendant lesquelles défilent toutes les images de leur duo.
j’ai les larmes aux yeux en les regardant. Je les ai encore en l’écrivant.
Marc et Joachim.
Le bronze. La médaille. La vie.
La récompense.
Pas ultime, magnifique.
Ils pleurent.
Marc et Joachim.
Joachim, l’homme debout.
Debout face aux obstacles de la vie.