À trop vouloir atteindre un rêve, parfois, on oublie parfois de le vivre quand il se présente.
Pendant quelques minutes. Non, que dis-je?, pendant quelques jeux qui ont semblé durer une éternité, Raphaël Collignon a oublié de vivre le rêve qui, pourtant, était devant ses yeux.
Cela fait des semaines entières qu’il ne pensait quasi qu’à ça.
Arrivé à Bologne jeudi dernier, il n’a eu de cesse d’aller voir le Saladier d’argent, qui est en réalité un plat à punch, et de l’imaginer dans ses bras dimanche prochain.
Sur le terrain d’entraînement, il se donnait à fond.
Et, quand on lui demandait lundi si la victoire face à la France était possible, il répondait, avec son enthousiasme communicatif : « face à la France, oui, bien sûr, nous pouvons gagner. Mais nous sommes ici pour ramener la Coupe. »
Ce n’était pas prétentieux, loin de là. C’était simplement l’expression d’un jeune adulte qui parvient encore – et c’est rafraîchissant – à avoir des rêves de gosse.
Mardi arrive.
Entraînement vers 13 h 30. Pas exceptionnel, l’entraînement, avec son coach capitaine qui n’a de cesse de lui dire d’aller vers l’avant, de ne pas reculer en frappant.
Si j’insiste sur cette remarque de Steve, c’est parce qu’elle prendra tout son sens dans la soirée.
Déjeuner. Pas en paix intérieure.
Le rêve, toujours, hante les pensées.
16 heures.
4 000 spectateurs dans un stade vraiment agréable et taillé pour les exploits.
Cérémonie d’ouverture assez courte. Raphaël semble la vivre en dehors de son corps.
Sa faconde est légèrement moins joyeuse qu’à l’accoutumée. Il sourit, certes, mais c’est figé.
Bref, ce n’est pas le Raph que l’on connaît.
Il est, pour ainsi dire, fermé.
Échauffement avec un certain Corentin Moutet, deuxième joueur français choisi par Paul-Henri Mathieu.
Début du match.
Un spectateur italien se fâche, crie pendant plusieurs minutes.
Le stade est médusé, Raphaël aussi.
Il va servir.
Double faute.
Il joue mal. Il n’entre pas dans le match. Deuxième double faute dans le jeu et break d’entrée pour Moutet.
Moutet, c’est le joueur compliqué par excellence. Il sait tout faire, il sait varier, il sait jouer court, il sait jouer vite, il est capable de tout et possède une main qu’Olivier Rochus et Justine Henin ne peuvent qu’apprécier. Lui offrir un break d’entrée, c’est le mettre dans de la ouate. Déjà, d’habitude, il aime tisser des toiles faites de surprises mais à 1-0 dans un tel contexte, il rayonne, se libère.
2-0.
Puis 3-0 sur un nouveau break.
Premier changement de côté avec permission de s’asseoir.
Je n’ai pas entendu ce que Steve a dit à Raphaël mais c’était chaud. Le coach était plus que fâché. Le capitaine était furax.
Son joueur, le joueur qui a battu De Minaur à Sydney, était à côté de ses pompes. Il ne jouait pas, ne frappait pas, n’entrait pas dans le terrain.
Steve ne crie pas parce qu’on ne crie pas quand on est capitaine.
Mais il voit rouge, le fait comprendre à Raph.
Qui écoute.
4-0 mais le match commence à s’équilibrer.
6-2 Moutet qui avait trop d’avance mais on sent que rien n’est fait.
J’en reviens à l’entraînement. Steve voulait que Raph avance dans le terrain, qu’il ne subisse pas.
Dès le 4e jeu, il a – enfin – appliqué la tactique prévue.
Corentin est toujours vivace, frondeur, facétieux.
À vrai dire, vous me permettrez une incise. J’ai lu beaucoup de commentaires le disant morveux et irrespectueux. En réalité, jusque-là, et même tout au long de la rencontre, il a plutôt été très fair-play. Certes, il a décoché des services par le bas, mais ce n’est pas interdit. Certes il a un jeu bizarre pour les profanes, mais ce n’est pas interdit. Certes il sert parfos à 140 km/h, mais c’est rudement efficace. Certes encore, il est parfois ingérable mais, hier, franchement, il n’y avait pas de quoi l’agonir d’injures. Et il a même félicité plusieurs fois son rival belge du jour.
Fin de mon incise.
Raphaël joue bien, de mieux en mieux. Il sert aussi de mieux en mieux et, surtout, Moutet commence à moins lire son service.
Au début, c’était assez fou. Même sur des missiles à plus de 230 km/h, le Français retournait comme si de rien n’était. Une lecture du jeu parfaite, accompagnée d’un sens tactique hors du commun.
Puis vient ce jeu de 5-5 dans le deuxième. Moutet domine l’échange, vient au filet et, au lieu de faire une volée facile, il tente l’improbable tweener.
Enfin, improbable… pas tant que cela tant il en a fait dans sa carrière.
Et, cette fois, il le rate.
Ce qui, en réalité, contrairement à ce que l’on a pu lire et dire, n’a pas un impact énorme sur le score du match. Raph était déjà en train de prendre le dessus. Simplement, ce coup de génie devenu coup de clown a déstabilisé son auteur et Raphaël en a profité pour breaker et prendre le contrôle.
Dans le troisième, il ne perdra… qu’un seul point sur son service.
Et s’imposera dans un dernier jeu dantesque qui l’a vu faire des retours supersoniques.
2-6 7-5 7-5.
Énorme.
Zizou monte sur le court.
Il a passé une mauvaise semaine, Zizou, une très mauvaise semaine. Il n’a pas été bon aux entraînements, il était anxieux, voulait bien faire mais ne parvenait pas à se projeter.
Ceux qui avaient vu ses entraînements pouvaient être inquiets.
C’était assez mal connaître le Zizou. Qui a besoin de public, qui a besoin d’enjeu, qui a besoin de défi.
Il monte sur ce Central et il renverse tout. Arthur Rinderknech – oui, cet Arthur qui a été en finale de l’ATP 1000 de Shanghai – n’en mène pas large. Il est bousculé, pris à la gorge. 6-3 pour le Belge qui domine, archi-domine.
Et qui fait le break rapidement dans le deuxième.
La demi est proche.
Mais le tennis est un sport de fous.
Rinderknech revient à la fin de la manche et s’offre deux balles de set.
On craint le pire.
Mais Zizou voulait ce point. Il se rebiffe, se reprend et livre un tie-break de haut vol.
6-3 7-6 contre le 29e mondial.
Il tombe dans les bras de Raphaël.
De Steve.
D’Alex, Joran, Sander, aussi importants qu’eux même en restant sur le banc.
Dans les bras des membres du staff, aussi, évidemment, capital pour mener une telle aventure.
Hier, dans ma lettre ouverte, j’écrivais : « et si vous tombez, relevez-vous. »
Ils ne sont pas tombés, ils sont restés debout.
Ils étaient beaux à suivre.
Beaux à soutenir.
Et le capitaine, comme toujours, a été solide dans l’attitude, inventif dans les mots.
Ils ne sont pas tombés. Ils sont debout.
Ils le seront encore vendredi.
Et la Belgique entière croira en cette potentielle 4e finale de Coupe Davis.
Face à l’Italie ou l’Autriche.
Qu’importe.
L’Australie, la France sont mieux classées que la Belgique.
L’Italie aussi.
Et alors ?
Il est des rêves qui, parfois, se réalisent.
Il est des rêves qui méritent d’être vécus.
Il est des rêves que ces gamins fougueux, généreux, merveilleux, méritent d’aller décrocher.
Et s’ils ne le font pas cette fois, ce sera pour l’an prochain, ou l’année d’après.
Ou jamais.
Les rêves deviendraient alors de merveilleux souvenirs.
Mais je préfère ne pas encore y penser.
