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Lettre ouverte à Ysaline et Marie

Missive envoyée par un Binchois à une Stavelotaine et une Eupenoise dont les yeux sont sans nul doute rivés sur les forfaits pour Roland-Garros.

Chère Ysaline, chère Marie,

Si je vous envoie aujourd’hui cette lettre ouverte, ce n’est pas parce que nous sommes tous les trois originaires d’une ville carnavalesque. Je me souviens certes avoir déjà parlé des Blancs Moussis avec toi, Ysaline, alors que je réalisais ma première interview en ta compagnie. Tu avais 16 ou 18 ans, je ne sais plus très bien.

Avec toi, Marie, je ne pense pas avoir évoqué les festivités carnavalesques, mais quand je t’ai parlé professionnellement pour la première fois, tu allais avoir 18 ans ; j’avais titré : « Marie Benoît, la chipoteuse perfectionniste ».

Non, si je vous écris aujourd’hui, c’est parce que je sais ô combien vous devez être pressées de savoir si, oui ou non, vous retournerez à Roland Garros dans quelques jours.

Tu es deuxième entrante pour les qualifs, Marie, et il faut donc deux défections avant dimanche ou lundi pour que tu puisses te rendre à la Porte d’Auteuil.

Vu de l’extérieur, cela ne veut sans doute rien dire, mais pour une joueuse comme toi, classée 247e et donc privée de revenus suffisants, une présence à Paris peut signifier beaucoup, comme par exemple pouvoir couvrir une bonne partie de tes frais de la saison. Mais aussi, et surtout, humer cet atmosphère si particulière des tournois majeurs.

Pour toi, Ysaline, qui viens d’arrêter ta carrière et qui t’occupes de Marie, ce retour à Roland Garros pourrait mettre un peu de baume sur la blessure qu’a constituée ton dernier match à Paris. Alors que tu venais d’atteindre ton meilleur classement, 81e mondiale, tu avais été tétanisée face à Anna Blinkova, à laquelle tu n’avais pris que deux jeux.

Ysaline, Marie, je vais maintenant vous écrire à l’une puis à l’autre.


Chère Ysaline,

Depuis que je t’ai eue au téléphone le lendemain de ton annonce émouvante de la fin réelle de ta carrière, je cherchais un angle pour t’écrire comme je le fais régulièrement lorsqu’un joueur ou une joueuse belge décide de ranger ses raquettes.

Avec toi, je savais que je ne pouvais pas y aller tout de suite et n’importe comment, car je sais que tu es rapide sur la balle des réseaux et que tu n’aimerais pas que je te couvre de compliments que, toi-même, tu ne t’adresserais pas.

J’ai déjà connu ce sentiment lorsqu’une joueuse verviétoise a arrêté. Il s’agissait, tu l’as compris, de Dominique Monami, qui est une amie personnelle depuis sa tendre enfance et qui, comme toi, avait, en tant que joueuse, un caractère trempé.

Voici d’ailleurs ce que me disait Noëlle Van Lottum, en 2012 ou 2013, alors que Dominique, précisément, faisait partie de ton team :

« Oui, on peut dire qu’elle nous ressemble, à moi et Dominique. Elle a un caractère direct, est assez franche et n’hésite pas à dire la vérité. Elle n’a sans doute pas encore assez de tact, mais cela va venir. »

En réalité, ce tact n’est jamais vraiment venu, tu ne m’en voudras pas de l’écrire. C’est d’ailleurs pour cela que je t’ai toujours appréciée et respectée, même si, comme beaucoup, tu m’as parfois énervé, voire ulcéré, car je ne comprenais pas toujours tes réactions, un rien trop sanguines. Un comble de dire cela pour le Gille que je suis…

Nous n’avons pas eu énormément l’occasion de nous croiser, mais j’ai toujours suivi ta carrière et j’étais évidemment présent lorsque tu as réussi l’une des plus belles perfs de ta carrière, en Fed Cup. Tu as battu Garbiñe Muguruza à Courtrai, et la manière dont tu t’étais démenée sur le terrain était tout bonnement remarquable.

Mais ta véritable performance est d’avoir atteint ton objectif de gamine : entrer dans le Top 100.

Hélas ! Une fois cette barrière mythique atteinte, tes blessures – surtout physiques, mais aussi mentales – t’ont empêchée de profiter de ce statut de pro pouvant désormais entrer dans tous les grands tournois du monde sans passer par les qualifs.

Pour toi, cette entrée dans le Top 100 a plutôt été un cauchemar. Sache que j’ai souffert en te voyant ne pas pouvoir savourer à sa juste valeur ta nouvelle position. Je savais les efforts consentis pour que tu y arrives, et je regrettais sincèrement que cet objectif se transforme quasi en fin de carrière.

Évidemment, certains diront que tu aurais pu faire mieux, si tu t’étais montrée plus docile, plus constante dans tes choix de coachs (même si ce sont parfois – souvent – les circonstances qui t’ont fait en changer et même si tu es restée 10 ans avec Noëlle)- , plus équilibrée dans tes réactions.

Ils auront peut-être raison, mais je n’en suis pas certain. Car j’ai toujours pensé que changer complètement le caractère d’un tennisman ou d’une tenniswoman peut, au contraire, avoir un effet inverse à celui désiré. On a souvent dit que si Malisse avait été plus calme, il aurait été meilleur. Je ne suis pas d’accord : peut-être n’aurait-il pas, alors, été en demi-finale de Wimbledon. On a aussi dit que si Olivier Rochus avait été plus grand, il aurait été Top 10. Je ne suis pas d’accord non plus, car il n’aurait alors peut-être pas développé aussi bien son jeu de main et sa vista.

Pour toi, c’est difficile à dire. Ton jeu était basé sur la puissance de ton coup droit, qui a tant fait mal à tes adversaires. Mais qui t’a aussi privée, parfois, de constance et de régularité.

Au diable les éventuels regrets. Tu es comme tu es, tu es restée comme tu étais. Tu n’as pas été facile à coacher. C’est comme cela, mais cela ne t’a pas empêchée d’être l’une des 20 joueuses belges de l’histoire à avoir atteint le Top 100.

Oui, il n’y a eu, dans l’histoire du tennis moderne, que 20 joueuses belges à l’avoir intégré. Tu es, en réalité, la 18e meilleure joueuse belge de l’histoire, si on ne prend que le critère du classement.

Si on ne parle que des joueuses francophones, tu es derrière Justine, Dominique et Michèle (Gurdal) (*).

Oui, tu es la quatrième meilleure joueuse francophone depuis les années 70 et la création du classement WTA.

Une stat qui vaut ce qu’elle vaut, mais qui devrait sans doute ouvrir les yeux de ceux qui ne se sont pas rendu compte du niveau de ta carrière.

Ysaline, très sincèrement, je te souhaite une formidable post-carrière et j’espère sincèrement qu’un des premiers moments forts de celle-ci te verra accompagner Marie à Paris dans quelques heures.


Chère Marie,

Je te souhaite à toi aussi d’aller à Paris avec Ysaline.

Je sais ce que représente un tournoi du Grand Chelem pour toi et pour toutes les joueuses qui gravitent pendant des années entre le Top 150 et le Top 250.

En basket ou en football, avec un classement comme le tien, tu évoluerais dans l’une des meilleures équipes du monde et tu gagnerais nettement mieux ta vie qu’aujourd’hui.

Mais voilà, être Top 250, en tennis, ne permet pas de vivre de son métier. Il faut, pour couvrir ses frais, jouer les interclubs dans plusieurs pays, faire preuve d’imagination et d’abnégation pour continuer sa route, contre vents et marées.

Ta route s’est aussi compliquée par le fait que tu ne développes pas ce que l’on peut appeler le tennis moderne. Voici ce que tu me disais à l’aube de tes 18 ans :

« J’ai toujours aimé ennuyer mes adversaires en distillant des coups que l’on ne voit plus beaucoup sur le circuit. C’est sans doute pour cette raison que j’aime beaucoup le jeu de Justine, qui savait elle aussi superbement « chipoter ». »

Malgré ce jeu un rien obsolète (je sais que cela t’énerve quand je l’écris, sorry ;-)), tu es montée dans le Top 200. Sais-tu que tu es la 26e meilleure joueuse belge de l’histoire en termes de classement, et que, en tant que francophone, tu es en fait 6e, soit deux places derrière Ysaline (*) ?

Marie, sache que, comme pour tous les gladiateurs et toutes les gladiatrices du tennis belge, j’ai une admiration profonde pour toi.

Ayant taquiné la raquette à un niveau de B négatif et ayant commencé ma carrière journalistique alors que Sandra Wasserman et Ann Devries traçaient la route du professionnalisme pour les générations à venir, je sais ce que représente un parcours comme le tien.

Peu de gens comprennent qu’un tennis national ne peut pas progresser s’il ne compte pas en ses rangs des joueurs comme vous les Kimmer (Coppejans), Kimberley (Zimmermann) ou toi, régulièrement, les équipes nationales n’auraient pas de solution et les meilleurs manqueraient de sparring partners de qualité.

Pour tout cela, avec vous, Marie, Ysaline, je croise les doigts pour que tu rentres dans les qualifs de Roland-Garros.

Vous le méritez.
Note: Ysaline, n’oublie pas de me prévenir ;-)

*J’ai un doute sur la langue de Stéphanie Devillé qui est née à Anvers et je pars du principe que Maryna Zanevska est asexuée linguistiquement.