Août 1957.
Le célèbre hebdomadaire « Pourquoi Pas ? » ne se sent plus : « Depuis lundi dernier, à quinze heures vingt-quatre exactement, notre prestige national a monté d’un cran. Nous nous sentons revigorés, rajeunis, victorieux. Nous avons battu l’Italie en finale européenne de la Coupe Davis. Nous, bien sûr, c’est essentiellement Philippe Washer et Jacky Brichant. Mais c’est aussi – et le voilà bien le phénomène ahurissant – tout le pays qui a vécu le match, qui y a participé, qui a joué balle par balle sur le court central du Léo.
Un autre événement sportif a-t-il réussi précédemment à plonger le pays dans des transes pareilles ? On a bien l’impression que jamais l’ensemble des citoyens du royaume n’a marché pour un événement du sport comme il vient de marcher… à la cadence de Washer et de Brichant…
… La Belgique a gagné la zone européenne de la Coupe Davis. Et nos deux mousquetaires de la raquette ont atteint un degré de popularité tel qu’il n’y a que le petit doigt à lever pour fonder, comme au football, mieux qu’au football, un puissant « Supporter’s Club Washer Brichant ».
Dans le même ton, dans l’organe officiel de la fédération :
« Nous avons vécu au Léopold Club, devant une foule énorme, quatre journées de luttes sensationnelles au cours desquelles aucune émotion ne nous fut épargnée. Le succès de nos compatriotes a eu un retentissement plus grand encore que celui qu’ils obtinrent en 1953 à Copenhague. … Ce succès a été vécu non seulement par les 7500 personnes qui se retrouvèrent à quatre reprises au stade Paul de Borman, mais aussi par des milliers de supporters occasionnels qui écoutèrent les reportages à la radio ou suivirent le déroulement des parties à la télévision. »
1957, donc. Il y a 68 ans.
Dans le regretté Central du Léopold, qui a vécu tant de sommets, vu défiler tant de champions, Philippe Washer et Jacky Brichant s’imposent en finale de la zone européenne de la Coupe Davis. Un succès majeur pour l’une des paires les plus célèbres du tennis belge.
Dans les tribunes, un spectateur attentif, passionné de tennis : mon papa.
Il est encore tout jeune et toujours célibataire. En fait, il ne le sera plus que quelques heures puisque, le lendemain du premier jour de cette rencontre mythique, il épousera ma maman, Danielle.
Laquelle, plus jeune encore, était membre du… Royal Léopold Club.
L’histoire familiale raconte qu’à son mariage, papa avait un torticolis tant il avait suivi les échanges des monstres sacrés de l’époque.
Inutile d’aller chercher plus loin ma passion pour le tennis : un papa qui va au Léo à quelques heures de ses noces, une maman qui, déjà, foulait les terrains mythiques de ce club ucclois dans lequel j’ai eu la chance de suivre des finales des Championnats de Belgique.
Je n’ai malheureusement pas pu y voir Washer et Brichant, ou encore Christiane Mercelis qui vient de nous quitter. Enfin, je ne les ai pas vus sur le Central mais je les ai croisés de temps en temps, toujours avec émotion, toujours avec des étoiles dans les yeux.
Puis, en tant que passionné d’abord puis en tant que journaliste, j’y ai vu les Hombergen, Mignot, Gurdal, Van Haver. Puis les Boileau, Stévaux, Mabille, Wasserman, Devries, Appelmans, Monami, Henin, Clijsters, Wuyts, Daufresne, Dewulf (ah, Filip, merci pour tout à l’heure, il me comprendra), Van Herck, Van Garsse, Goossens… et aussi des Coupes Davis de folie. J’en oublie, évidemment, et je suis certain qu’ils ne m’en voudront pas.
Mais je m’égare.
Je reviens à 1957.
Ou plutôt : je reviens à ce fil invisible qui relie les matches Belgique–Italie au reste d’une partie de ma vie.
Parce que cette finale européenne n’est pas seulement un grand moment de tennis : elle fait partie de mon histoire familiale.
Des décennies plus tard, c’est ce même fil, ce même Belgique–Italie, qui m’a rattrapé.
En 2017, j’ai en effet croisé Nicola Pietrangeli, l’un des héros italiens d’alors. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui raconter toute cette histoire.
Il a souri, avec la classe qui a toujours été la sienne. Et nous avons fait cette photo.
2017. Qui nous a vus, donc, jouer contre l’Italie. C’était à Charleroi. Et nous avions gagné.
Enfin, « nous » : David Goffin, Ruben Bemelmans, Joris De Loore et, bien sûr, Steve Darcis…
2017.
Demi-finale.
La Belgique bat… l’Australie, qu’elle a battue en septembre dernier. Un signe ?
2017.
Finale.
À Gand.
Gand? La Ville de mon… papa.
1957. Mon papa voit la Belgique battre l’Italie (en partie du moins, car il n’est pas revenu au lendemain des noces :-).
2017. Je vois la Belgique battre l’Italie.
2025. Belgique – Italie. Je suis là, je pense à mes parents.
Est-il utile d’ajouter quelque chose ?
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Tous les champions et championnes, ici.
L’histoire belge de la Coupe Davis, ici.
